Milindapañha
(Questions du roi Milinda) Sur le non soi
Le roi
Milinda, rendant visite à Nâgasêna, l'interrogea :
"Comment t'appelle-t-on, quel est ton nom ? "
"Je me prénomme Nâgasêna, ô roi, c'est
ainsi que l'on dit quand on s'adresse à moi. Les parents donnent un nom à leurs
enfants, mais ce nom, Nâgasêna, ou n'importe quel autre nom, n'est qu'une
désignation généralement utilisée, un mot sur lequel on s'accorde pour désigner
quelqu'un. D'ego permanent, enveloppé dans les phénomènes, il n'en existe pas ".
Le roi en appela alors au témoignage de l'assistance :
" Nâgasêna, prétend que son nom
ne représente pas une individualité permanente, peut-on adhérer à cette théorie
? "
Et se tournant vers Nâgasêna,
il lui dit :
" Maître, s'il n'y a
pas d'individualité enveloppée dans les phénomènes, qu'est-ce donc qui alors
vous procure ce dont vous avez besoin : vêtements, nourriture, demeure,
médicaments pour les malades ? Qui est-ce qui jouit de toutes ces choses ? Qui
est-ce qui vit dans la droiture et dans la justice ? Qui est-ce qui atteint le
but de la voie excellente, la sagesse, le nirvâna ? Et qui est-ce qui tue, qui
vole ? Qui est-ce qui vit dans le mal, dans la sensualité, qui ment, qui
s'adonne à l'intempérance ? S'il en est ainsi, il n'y a plus de mérite ou de
démérite, plus d'hommes qui provoque de bonnes et de mauvaises actions et plus
personne, non plus, qui les commette, il n'y a plus ni fruit, ni résultat d'un
bon ou d'un mauvais kamma. Si quelqu'un se tuait, ô Nâgasêna, il ne serait donc
pas un meurtrier. Il s'ensuit, aussi, que les maîtres et les docteurs de tes
adeptes sont des êtres fictifs et que l'ordination qu'on y reçoit n'est, en
réalité, conférée à personne. Tu dis que tes frères ont l'habitude de s'adresser
à toi en t'appelant Nâgasêna. Qu'est-ce que Nâgasêna ? Veux-tu dire que tes
cheveux sont Nâgasêna ? "
"Je ne
dis pas cela, grand roi "
"Ou les
poils du corps peut-être ? "
"Certainement non."
"Ou bien
s'agit-il des dents, des ongles, de la peau, de la chair, des nerfs, des os, de
la moelle, des rognons, du cœur du foie du ventre, des intestins, de l'estomac,
des excréments, de la bile, des humeurs, du pus, du sang, de la transpiration,
de la graisse, des larmes, du sérum, de l'huile qui lubrifie les articulations,
de l'urine ou du cerveau qui sont Nâgasêna ?"
Et, à chacune de ces choses Nâgasêna répondit non.
"Est-ce la forme extérieure ~ rupa ~ qui
est Nâgasêna, ou les sensations conditionnées~ vedanâ ~ ou les perceptions
conditionnées ~ sañña ~ ou les formations mentales conditionnées ~ sankhâra ~ ou
la conscience conditionnée~ viññana ~ qui sont Nâgasêna ?"
Et, à chacune de ces choses Nâgasêna
répondit encore non.
"Alors,
est-ce l'assemblage du nom, du corps, des sensations, des représentations, des
formations mentales et de la conscience, est-ce cela qui est Nâgasêna ?"
Et, à cela Nâgasêna répondit à nouveau
non.
"Est-ce quelque chose en
dehors des cinq agrégats ~ skandas ~ qui est Nâgasêna ?"
Et encore, il répondit non.
"Ainsi, Maître, n'importe où je
m'adresse, je ne puis, nulle part, découvrir Nâgasêna. Un mot, voilà ce qu'est
Nâgasêna. Cependant, qui est ce Nâgasêna que je vois en face de moi ? Lorsque tu
parles de Nâgasêna tu mens, Maître, il n'y a pas de Nâgasêna."
Et le vénérable Nâgasêna de répondre au
roi : "Tu es, ô roi, habitué à un très grand bien-être, à un très grand luxe. Si
tu marchais sur le sol échauffé, sur le sable brûlant et trouvais sous tes pieds
de pierres aiguës et du gravier, ceux-ci te feraient mal et, comme ton corps
souffrirait, ton esprit se troublerait et tu éprouverais une sensation de
souffrance corporelle. Comment es-tu venu jusqu'ici ? A pied ou dans un char ?"
"Je ne suis pas venu à pied.
Maître, je suis venu en char."
"Si tu es venu en char, ô roi, alors explique-moi ce qui est ce char. Qu'est-ce
donc que ce char ?" Le char est-ce le timon, les roues, le coffre, le joug ?"
"Non, ce n'est pas ces choses."
"Le char est-ce quelque chose en
dehors de ces parties ?"
Et
encore, le roi répondit non.
"Ainsi, ô roi, n'importe où je m'adresse, je ne puis, nulle part, découvrir de
char. Un simple mot, ô roi, voilà ce qu'est ce char. Parlant ainsi tu mens.
Qu'est-ce donc que ce char ?"
Le
roi lui répond : "Pour désigner la réunion du timon, de l'essieu, des roues, du
coffre, de la barre, on emploie couramment, comme un terme compris de tous, le
nom, la dénomination, l'expression "char"."
"Très bien, ô roi, tu as parfaitement saisi la
signification de "char". De même, aussi, par rapport à la réunion des diverses
sortes de matière organique entrant dans la composition du corps et aux éléments
constitutifs de l'être, on emploie comme un terme compris de tous, le nom, la
dénomination, l'expression de Nâgasêna, mais de sujet, dans le sens absolu du
terme, il ne s'en trouve point ici."