mise à jour vendredi 21 novembre 2008 15:13
TRAITÉ
DES DEUX ACCÈS
Le
maître de Dharma était un homme des régions occidentales : originaire de
l'Inde du Sud, il était le troisième fils d'un grand roi indien. Il était doté
d'une intelligence extrêmement vive, à laquelle rien n'échappait. Ayant résolu
de préserver le Mahâyâna, il abandonna l'habit blanc [des laïcs] pour la
robe noire des moines. Il recueillit les semences de la sainteté et les fit se
multiplier. L'esprit plongé dans la vacuité et la quiétude, il examinait avec
pénétration les affaires profanes. Il avait élucidé [les doctrines]
bouddhiques et non-bouddhiques, et sa vertu surpassait les normes de l'époque.
S'affligeant
du déclin de la doctrine orthodoxe dans les contrées limitrophes, il eut à
traverser les monts et les mers pour s'en venir prêcher dans [la région de] la
Han et [de] la Wei. Tous les adeptes de la quiétude et du silence furent gagnés
à sa foi, mais il fut en butte aux calomnies des esprits superficiels et attachés
à leurs erreurs. A l'époque, il ne trouva [pour tous disciples] que
Daoyù et Huike. Seuls ces deux sramanas, malgré leur jeune âge, surent faire
preuve de détermination profonde. Ayant eu la chance de rencontrer le maître
de Dharma, ils le servirent plusieurs années. Ils lui demandèrent
respectueusement de les initier, et assimilèrent parfaitement sa pensée.
[Bodhidharma],
appréciant leur extrême sincérité, leur enseigna la Voie authentique [en ces
termes] :
«
Apaiser ainsi l'esprit, susciter ainsi la pratique, se soumettre ainsi
à Tordre des choses, recourir ainsi aux expédients salvifiques :
telle est la méthode mahayaniste pour apaiser l'esprit qui vous permettra d'éviter
toute erreur. »
Apaiser
ainsi l'esprit renvoie à la contemplation murale, susciter ainsi la
pratique désigne les quatre pratiques. Se soumettre ainsi à l'ordre des
choses, c'est se garder de la calomnie et de la haine. Recourir ainsi aux
expédients salvifiques, c'est éviter tout attachement à leur égard. Ce bref
avant-propos s'inspire des idées développées dans les pages qui suivent.
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Les
deux Accès
II
est de multiples façons d'accéder à la Voie, mais toutes peuvent se ramener
à deux types principaux : l'accès par le principe et l'accès par la pratique.
L'accès par le principe consiste à réaliser le principe essentiel en
s'appuyant sur la doctrine; c'est croire profondément en l'immanence, dans tous
les êtres, d'une nature unique et véritable, que le voile irréel des
souillures ne fait que masquer. Si l'on rejette l'erreur pour faire retour à la
vérité, en se concentrant sur la contemplation murale, il n'y a plus de
distinction entre soi-même et autrui, le profane et le saint s'avèrent égaux
et un. Demeurer ferme et constant, affranchi de l'enseignement discursif,
c'est s'accorder mystérieusement avec le vrai principe. Comme il n'y a plus
nulle discrimination, tout est tranquille et exempt de noms. Tel est l’ « accès
par le principe ».
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Les
quatre pratiques
L'
« accès par la pratique » renvoie aux quatre pratiques qui résument toutes
les autres. Quelles sont ces quatre pratiques?
Ce
sont :
1)
savoir répondre à la haine ;
2)
être en accord avec les conditions ;
3)
ne rien tenir pour désirable ;
4)
être en parfaite harmonie avec le Dharma.
1)
Qu'est-ce que s'exercer à « répondre à la haine »? Celui qui
pratique la Voie doit, dans l'adversité, se faire la réflexion suivante : «
J'ai par le passé, durant d'innombrables kalpas, délaissé l'essentiel au
profit de l'accessoire. Au fil des existences, j'ai suscité maint ressentiment
et mainte haine, et causé des dommages infinis. Le malheur qui, en dépit de
mon innocence présente, s'acharne sur moi, est la rétribution de méfaits
anciens dont les fruits ont fini par mûrir. Il ne s'agit donc pas d'une
punition infligée par le Ciel ou les puissances surnaturelles. Faisons contre
mauvaise fortune bon cœur, et tous [les motifs de] ressentiment ou de récrimination
disparaîtront. » II est dit dans un sûtra : « Ne t'afflige pas devant
l'adversité. Pourquoi ? Parce que tu en comprends l'origine. »
Lorsque de telles pensées naissent [en vous], vous parvenez à vous accorder au
principe, et votre compréhension du ressentiment vous permet de progresser
sur la Voie. Voilà pourquoi je vous engage à vous exercer à « répondre à
la haine ».
2)
La seconde pratique consiste à « être en accord avec les conditions ». Il
s'agit de réaliser que les êtres sont dénués de moi, et sont mus par la
causalité karmique. Accueillez avec équanimité les peines et les plaisirs,
car tous résultent des conditions. S'il m'arrivait d'obtenir quelque excellente
rétribution telle que les honneurs ou la renommée, celle-ci procéderait d'une
cause enracinée dans mon passé, et dont il m'aurait fallu attendre jusqu'à
maintenant [la réalisation]. Pourquoi me réjouirais-je de son existence
puisque, une fois les conditions épuisées, elle aussi retournera au non-être?
Le gain comme la perte découlent des conditions. Si votre esprit n'en est pas
affecté, s'il n'est pas agité par le vent de la joie, vous obtiendrez l'accord
profond avec la Voie. C'est pourquoi je vous exhorte à pratiquer l’« accord
avec les conditions ».
3) La troisième pratique consiste à « ne rien tenir pour désirable ». Par « désir », on entend [le fait] que les hommes, dans leur égarement incessant, s'obstinent à convoiter toutes choses. Le sage réalise la vérité [ultime], laquelle en son principe s'oppose à la [vérité] conventionnelle. Il apaise son esprit par le non-agir, sans se soucier de son corps. Convaincu de la vacuité de toute existence, il n'a plus rien à espérer ou dont se réjouir. « Mérite » et « Obscurité » vont toujours de pair. Le Triple Monde dans lequel nous vivons depuis si longtemps est comme une maison de feu . Tout ce qui possède un corps souffre: qui donc pourrait trouver le repos ? En comprenant cela, vous mettrez du même coup fin à toute pensée, et cesserez d'aspirer à l'existence. Il est dit dans un sûtra : « Le désir est souffrance ; l'absence de désir est joie . » II est donc clair que l'absence de désir est une pratique de la Voie.
4)
La quatrième pratique consiste à « être en parfaite harmonie avec le Dharma
». On appelle « Dharma » le principe de la pureté intrinsèque. Selon ce
principe, tous les caractères spécifiques sont vides, et ne présentent ni
souillure ni attachement, ni « ceci » ni « cela ». Il est dit dans un sûtra
: « Le Dharma ne contient nul être, car il est exempt de la souillure [causée
par] l'être ; il est dénué de toute subjectivité, car il est exempt de la
souillure [causée par] le moi. » Le sage, s'il peut croire en ce principe et
le comprendre, doit s'exercer à être « en parfaite harmonie avec le Dharma ».
A l'instar du Dharma qui est par essence prodigue, il n'épargne ni son corps ni
ses richesses dans sa pratique de l'aumône, et son esprit est également généreux.
Pénétrant la triple vacuité, il est indépendant et sans attachement. Ayant
éliminé [en lui] les impuretés, il aide et guide les êtres, sans pour autant
s'en tenir aux apparences. [Ses actes], source de profit pour lui-même, le sont
également pour autrui, et lui permettent en outre d'orner la Voie de l'Éveil.
Ce
qui vaut pour le Don vaut pour les cinq autres ([Perfections]. Pour éliminer
les fausses notions, on pratique les six Perfections. Toutefois, c'est lorsqu'on
n'a rien à pratiquer que l'on pratique «en parfaite harmonie avec le Dharma ».
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Première
lettre
J'ai
toujours admiré les anciens sages, et longuement cultivé toutes les pratiques.
J'ai toujours estimé les Terres Pures [des Buddhas], et recherché les enseignements
qui nous sont parvenus comme un homme assoiffé [recherche de l'eau]. Ceux qui
ont réussi à rencontrer Sakya[muni] et à obtenir la Voie suprême sont des
millions, et innombrables sont ceux qui ont obtenu les quatre fruits.
[Jusqu'ici] je pensais vraiment que les mansions célestes étaient d'autres
pays et que les enfers existaient quelque part ; j'étais persuadé qu'en
obtenant le Dao et ses fruits, on changeait de forme physique. Je déroulais les
sutras pour y chercher des bénédictions. Dans la plus grande confusion, je
tournais en rond, entraîné par mon esprit et créant du karma.
Ainsi
passai-je plusieurs années, sans m'accorder le moindre repos. Enfin, je parvins
à reprendre contact avec la paix profonde et soumettre les objets à
l'esprit-souverain. Mais j'étais cultivé pendant trop longtemps des pensées
fausses, et, emporté par mes émotions, je percevais des caractères spécifiques.
Quant aux transformations qui se produisaient, j'avais le désir de les résoudre.
Finalement
je saisis la nature-de-Dharma et pratiquai à peu près l'Ainsité. Pour la
première fois je réalisai que dans le carré d'un pouce il n'est rien qui ne
se trouve. La perle claire [de l'esprit] pénètre les destinées les plus
obscures. Du haut jusqu'en bas, des Bouddhas aux insectes, il n'est rien qui ne
soit synonyme de pensées fausses, produites par l'esprit de spéculation. C'est
pourquoi j'ai mis par écrit mes pensées les plus secrètes. Pour l'instant,
j'exposerai les " Stances sur les expédients pour accéder à la Voie
", comme
préceptes pour ceux qui ont des affinités pour ce type d'éveil. Si vous avez
le temps, lisez-les :
Même
si vous fusionnez et purifiez votre esprit,
La
pensée qui surgit, en l'espace d'un instant, vous entraîne dans la
transmigration.
Dans
cet état, la mémoire ne fait que produire une vie dépravée.
Même
si vous recherchez le Dharma et spéculez [sur l'esprit], vous ne pouvez échapper
au karma.
De
plus en plus souillé par la transmigration, l'esprit a du mal à atteindre
l'ultime.
Le
Sage, en entendant les huit mots, s'éveilla soudain au principe.
Il
réalisa pour la première fois que ses six années de pratiques ascétiques
avaient été vaines.
Le
monde entier est rempli de créatures démoniaques.
Qui
crient en vain et se lancent dans des discussions absurdes.
Avec
de fausses explications, ils prêchent les êtres.
Ils
discutent de remèdes, et s'avèrent incapables de guérir une seule maladie.
Tout
est calme, foncièrement exempt de vision de caractères spécifiques.
Comment
le bien et le mal, le vrai et le faux, existeraient-ils?
La
naissance elle-même est non-naissance, l'extinction elle-même est
non-extinction.
Le
mouvement est non-mouvement, la concentration non-concentration.
Deuxième
lettre
Les ombres naissent des formes, l'écho répond à la voix. Ceux qui jouent avec leur ombre jusqu'à épuiser leur corps, ne réalisent pas que ce corps est [la cause de] l'ombre. Ceux qui élèvent la voix pour faire cesser l'écho ne réalisent pas que leur voix est la source de l'écho. Rechercher le nirvana en éliminant les passions est comme rechercher l'ombre en enlevant le corps. Chercher le Bouddha en rejetant les êtres est comme chercher l'écho en faisant taire la voix. Sachez donc que l'illusion et l'éveil ne sont qu'une seule Voie, et que la bêtise et la sagesse ne diffèrent en rien. Pour avoir donné des noms à ce qui était innommable, on a engendré l'être et le non-être. Pour avoir établi des principes dans ce qui était sans principe, on a vu fleurir les disputes. Les transformations illusoires n'étant pas vraies, qui aurait tort ou raison ? L'erreur étant irréelle, qu'est-ce qui existe ou n'existe pas ? »
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traduction B. Faure