les
Tableaux de la quête du Bœuf
On
pense très généralement que le Zen est différent des autres approches du
Bouddhisme. Cette impression fausse a probablement son origine dans des développements
récents en Chine et au Japon. Le mot japonais "Zen" vient du mot
chinois "Ch'an", lequel vient du mot sanscrit "Dhyana" (Jhana
en Pâli) et signifie "méditation". Dhyana fut introduit en Chine, en
provenance de l'Inde, vers le 6ème siècle après J.-C., probablement par
Bodhidharma. Mais en Chine, puis plus tard au Japon, son exercice subit des
modifications considérables, au point de le rendre méconnaissable, à cause du
caractère et de la culture de ces deux pays, de telle sorte que cette tradition
est de nos jours, généralement considérée comme chinoise ou japonaise.
Cependant, l'esprit du Bouddhisme originel dont la source est en Inde, reste
sous-jacent dans le vide du Zen. En effet, ses principes fondamentaux trouvent
leur origine dans l'enseignement et les idées des Textes Canoniques.
D'importantes
doctrines considérées par les ignorants, comme typiquement Zen, sont en complète
harmonie avec l'enseignement et la tradition Thera-vâda. Par exemple, le Zen prétend
que la réalisation du "satori" (illumination ou éveil) ne se trouve
pas dans les textes, qu'il est impossible de réaliser l'expérience du satori
par la seule lecture des sutras et qu'on ne doit pas s'attacher à la lettre de
la Loi. Ceci ne signifie nullement que l'on ne doit pas étudier les sutras ou
les textes. Tous les maîtres Zen ont été et sont encore des érudits en matière
de textes. Comme le Dr D.T. Suzuki l'a fait remarquer d'une façon humoristique
: "Le Zen prétend être une transmission spécifique en marge des textes
et être allergique à tout verbalisme, mais ce sont les maîtres Zen les plus
bavards et les plus prolixes en écrits de toute sorte".
L'idée
que la réalisation de la Vérité (Nirvâna) ne peut être atteinte par la
seule étude du Dhamma est une doctrine essentielle du Thera-vâda. Mais la
connaissance du Dhamma (pariyatti) est un outil nécessaire. Bien entendu, cette
connaissance seule ne peut suffire. Elle doit être mise en pratique dans la vie
de tous les jours (patipatti). D'après le Dhammapada (vv 19.20), celui qui
connaît les textes à fond, mais ne met pas cette connaissance en pratique est
comme un homme qui compterait les vaches de son voisin ! Celui qui est moins érudit
mais qui met en pratique ce qu'il a appris en tirera joie et bénéfice. D'après
la tradition Thera-vâda, la personne qui étudierait les textes sans utiliser
ses connaissances pour s'enrichir spirituellement, ferait mieux de dormir que de
perdre son temps à l'étude des textes.
Le
Dhamma (l'enseignement) est comparé, par le Bouddha, à un cadeau (Kullupana)
dont le seul but est de nous faire traverser la rivière et non pas de devenir
un objet d'attachement, (nittha-rantthaya no gahanatthaya). Si l'on se contente
de s'asseoir sur le radeau sans le diriger convenablement et sans ramer,
on n'arrive jamais sur l'autre rive. Une fois l'autre rive atteinte, il est sans
objet d'emporter le radeau sur son dos sous prétexte qu'il a rendu service. Il
vaut mieux le laisser pour qu'il soit utilisé par quelqu'un d'autre. Il serait
par contre ridicule de le brûler, de le détruire après qu'il a servi.
Un moine Zen érudit nommé Tokusan (782-865), spécialiste du Sutra de Diamant,
aurait, dit-on, brûlé le sutra et toutes ses notes, apparemment par mépris,
après avoir obtenu "l'éveil soudain". Sa longue étude du sutra était
probablement en grande partie responsable de son prétendu "éveil
soudain".
Un
autre thème important du Zen est qu'il vise à se concentrer sur l'esprit.
C'est en d'autres termes la même chose que signifie l'expression pâli
sacchikaroti qui veut dire "voir avec ses propres yeux", "expérimenter
directement". Ainsi, le Dhamma également (la Vérité) "doit être
atteint par le sage solitairement, dans sa solitude intérieure" (paccattam
verditabbo vinnuhi).
Le
thème le plus important du Zen est la réalisation de la Bouddhéité par la
vision directe de sa propre nature. Cette vision "dans sa propre
nature", ou " dans la Vérité", apparaît dans les textes pâlis
dans des expressions comme nanadassana (voir avec sagesse), cakkhum udapadi (l'oeil
était né ouvert), panna udapadi (la sagesse apparut), aloko udapadi ( la lumière
apparut).
Dans
la phraséologie Zen, on devient un "Bouddha" en réalisant le satori.
Le sens qui est donné ici au mot "Bouddha" n'est pas le même que
celui du Bouddha Gotama qui était un Sammâsambouddha (parfaitement et
pleinement illuminé). Il serait flatteur de penser que n'importe qui peut
devenir aussi extraordinaire que le Bouddha Gotama, simplement en réalisant le
satori, quel que soit le sens exact de ce mot. Ici, le mot "Bouddha"
est utilisé dans son sens le plus restreint de "l'Eveillé" ou
"Illuminé" (de la racine budh=éveiller"). Quiconque a réalisé
la Vérité (nirvâna) pourrait être appelé "bouddha" dans ce sens,
d'après la tradition thera-vâda. L'upasakajanalankâra,
traité pâli s'occupant de l'éthique des laïcs et écrit au 12e siècle (?)
par un Thera nommé Ananda (dans la tradition Thera-vâda du Mahâvira d'Anuradhapura),
déclare que si un disciple atteint l'illumination (shravaka-bodhi) il est dès
lors un Shravaka-Bouddha. Dans le theragatha même, le terme de sambodhi (plein
éveil) est utilisé pour définir la réalisation de l'état d'arhat par un
thera.
Le
Commentaire dit qu'à cet endroit, le terme sambodhi signifie arahatta (état d'arhat).
Même un Sammâsambouddha est un arhat (arahamsammasam-bouddho). Thera-vâda et
Mahâyâna sont d'accord en ce qui concerne vimutti (ou vimukti) à savoir, émancipation
libération; c'est à-dire en ce qui concerne l'état d'arhat et la libération
des souillures. Il n'y a pas de différences entre le Sammâsambouddha(
Samyaksambouddha en sanscrit), le Paccekabouddha (Pratyekabouddha, en sanscrit)
et un Savaka (Shravaka, en sanscrit), c'est à dire un disciple qui est libéré
(ayant atteint l'état d'ahrat). Un Sammâsam-bouddha est supérieur à un
Paccekabouddha et à un disciple libéré dans le domaine de la connaissance et
la possession d'innombrables qualités, talents et potentialités.
Même
si un disciple ayant réalisé le Nirvâna, ayant atteint l'état d'arhat, peut
être appelé "Bouddha", le Thera-vâda, sans doute par discrétion,
n'utilise pas ce terme avec la générosité dont fait preuve le Zen à l'égard
de ceux qui sont supposés avoir réalisé le Satori. (Le Zen insiste beaucoup
sur la soudaineté de la réalisation du satori comme s'il s'agissait là d'une
qualité particulière et fait état de nombreuses histoires qui illustrent ce
fait. Par exemple, le maître Zen Reiun, après trente années d'entraînement
et de discipline sévères, atteignit le satori à la vue d'une modeste fleur de
pêcher épanouie. Maître Kyogen,
après une quête longue et ardue, eut son satori en entendant le bruit d'un
caillou frappant une tige de bambou. Un autre maître Zen du nom de Mumon avait
pratiqué, pendant six années, une discipline de méditation sévère sur le
fameux koân Mu ou Vide (néant) sans résultat. Un jour, il entendit le
roulement du tambour qui annonçait l'heure du repas et réalisa soudainement le
satori.
Les
exemples de ce genre ne manquent pas dans les commentaires pâli, soit "d'éveils
soudains" ou des "réalisations soudaines de l'état d'arhat". Un
acrobate, nommé Uggasena, se tenant en équilibre sommaire au sommet d'un mât
de bambou, crut entendre le Bouddha prononcer les paroles suivantes, ressemblant
à un koân Zen: "Largue devant, largue derrière, largue au milieu, au-delà
de l'existence avec un esprit totalement libéré, tu ne reviendras pas pour naître
et mourir".
Un
thera nommé Usabha, vivant dans une grotte au pied d'une montagne blanche, fut
pris d'un profond dégoût pour l'existence parce qu'il n'arrivait pas à se débarrasser
d'impures idées de convoitise. Au moment où il se préparait à se suicider,
en se jetant dans le vide du sommet d'un rocher, il atteignit l'état d'arhat.
Le jeune prince Vitasoka, jeune frère de l'empereur Asoka, était un élève de
Giridatta Thera et connaissait bien le Dhamma (dharma, en sanscrit). Un jour, il
prit le miroir que tenait le barbier en lui taillant sa barbe et apercevant son
visage par réflexion il atteignit l'état de Sottapatti (entrée dans le
courant) Plus tard, il se fit bikkhu sous l'autorité de ce même maître et
atteignit l'état d'arhat. Baghu Thera, afin de vaincre une somnolence tenace,
sortit de sa cellule et, comme il pénétrait dans le cloître pour méditer (Cankama,
marcher), il atteignit au même moment l'état d'arhat.
De
même, une religieuse (theri) d'âge avancée, nommée Dhamma Theri, revenait de
sa tournée d'aumônes quand elle tomba par terre. Soudainement et inopinément,
son esprit fut libéré. Siha theri, soeur du général Siha, n'était pas arrivée,
après sept années de méditation sérieuses, à trouver la paix de l'esprit.
Très désappointée et écoeurée de ne pouvoir trouver cette paix, elle décida
de se pendre. Ayant attaché une corde à une solide branche, elle passa la tête
dans le noeud coulant. Et tout d'un coup, elle réalisa la vérité et devint
Arhat. Patacara Theri avait atteint l'état de sotapatti et visait des états
plus nobles. Un jour qu'elle se lavait les pieds dans une bassine, elle vit un
peu d'eau disparaître dans le sol. A trois reprises, elle vit ainsi l'eau
disparaître dans le sol. A cette vue, elle fut complètement fascinée par la
pensée de l'impermanence et la façon dont les agrégats apparaissent et
disparaissent. Perdue dans ses pensée, elle aperçut le Bouddha qui lui
parlait: " Un seul jour de la vie d'une personne qui perçoit le flux et le
reflux (des choses conditionnées) est plus utile que les cent années de la vie
de quelqu'un qui ne percevrait rien". Au même moment, Patacara atteignit
l'état d'arhat.
Bien
que la réalisation de l'Eveil, de l'Illumination, de l'Emancipation dont il
fait état dans ces histoires Zen et Thera-vâda ait l'air d'être soudaine, il
n'en est rien en fait. Dans ces exemples comme dans beaucoup d'autres, l'éveil
"soudain ou subit" n'intervient qu'après une très longue période de
sévères discipline, entraînement, lutte et pratiques, sinon dans cette vie,
peut-être dans une vie ou des vies antérieures conformément à l'enseignement
et à la croyance bouddhiques. L'événement n'est soudain que parce qu'il ne
peut être ni prévu ni programmé, ni fixé par un acte volontaire: personne ne
peut décider qu'après un certain nombre de semaines, de mois ou d'années de
discipline et de méditation, l'éveil se produira à une date et une heure données.
Cet événement se produit au moment le plus insolite, dans des conditions que
l'on avait jamais envisagées, quelque fois d'une façon presque dramatique.
Mais, ce moment finit par arriver, résultat d'une lutte et d'un entraînement
éprouvants et longs. Les Maîtres Zen admettent eux-mêmes que "tout le
monde ne peut pas espérer avoir l'entraînement suffisant pour réaliser l'expérience
merveilleuse du Satori."
Walpola
Rahula
extraits
des Cahiers du Bouddhisme No 9
(dessin de Tsai Chich Chung)
Que sont les Tableaux du Boeuf ?
Copyright © Sâdhana
Alors pour démontrer les péripéties inhérentes à
la maîtrise de l'esprit, s'adressant à une population de pays à majorité
paysanne, l'Enseignant a pris, pour développer son argumentation
philosophiquement pragmatique et réaliste, le buffle, élément indispensable
de la vie quotidienne à plusieurs points, tant celui de la traction de la
charrue dans les rizières que celui du lait pour la femelle, celui du
combustible pour la bouse, celui de la nourriture avec leur viande, celui du
confort par l'utilisation de leur peau, soit en chapeau, manteau ou chaussures,
etc.
Bien qu'il ait toutes les apparences d'une quiétude parfaite, le buffle subit un sérieux apprentissage avant que d'être conduit dans les rizières où, selon la configuration du lieu, souvent escarpé, il ne jouit que de peu de latitude pour se mouvoir. Imaginez le désastre, s'il paniquait pour un oui ou pour un non, puisque les rizières à flanc de montagne forment un réseau hydrologique très complexe et d'une seule pièce pour économiser l'eau qui les arrosent. Des générations de travail à la main, à l'eau, c'est le cas de dire!
Donc le premier apprentissage qu'un père dispense à
son fils dans sa vie d'homme (souvent très jeune par nécessité) est celui du
buffle (de boeuf, du zébu, du yak, etc.), car l'animal est en quelque sorte le
garant de la nourriture que l'on obtient de la terre qu'il permet de cultiver.
C'est un phénomène quasi universel dans les pays en voie de développement a
forte prédominance agraire, que ce soit dans certains pays d'Afrique, d'Asie ou
d'Amérique centrale et du Sud, où l'usage d'un tracteur mécanisé est voué
à l'échec vue l'exiguïté des terrains. Nous plongeons ici dans le coeur même
de la transmission universelle de l'apprendre, du savoir et du faire,
Donc, pour illustrer concrètement l'ascension vers
la maîtrise de l'esprit, maîtrise préludant à ou étant l'Illumination-Eveil,
elle-même, l'iconographie chinoise a pris le buffle, le boeuf ou la vache,
l'iconographie bouddhique, elle, a choisi, faute de vaches à dompter,
l'éléphant, sorte de "bonne à tout faire". Les exemples d'éléphants
fous, parsemant jatakas, soutrâs et sastras, sont significatifs des dégâts
qu'ils peuvent occasionner, malgré leur irréfutable, normalement placide
utilité, tout comme le mental chez l'être humain. Donc, indispensabilité impérative
de ce dressage.
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Premier Tableau
la recherche du boeuf: L'être humain cherche en fait le buffle sur lequel il est juché sans le savoir, c'est-à-dire qu'il cohabite à son insu avec une partie de lui même qui lui est cachée: c'est elle que l'on peut appeler sa nature propre de Bouddha. Rappelons que c'est Brahma lui-même qui cacha l'essence divine au plus profond de l'homme en arguant, au collège des sages convoqués pour la circonstance, que c'est l'unique endroit où le commun des mortels n'aurait pas idée d'aller la chercher. Qu'est-ce qui l'empêche de voir le chemin qu'il doit prendre pour cela les trois poisons, la convoitise ou avidité, la haine et surtout l'ignorance. La dualité du bien et du mal, de l'attachement et de la peur de perdre l'objet de son attachement entretien la confusion de son esprit et devant la multitude des chemins qui s'offre à lui, il ne sait lequel prendre. L'attachement à ses sens l'ayant complètement affolé, il va, deci-delà sans direction précise, interrogeant tout sur son passage, même le clapotis ou le grondement d'une cascade pour savoir s'il existe quelques traces visibles du buffle. Mais il n'en continue pas moins pour autant son chemin avec confiance, avec circonspection et persévérance.
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Deuxième Tableau
:
la vision d'empreintes:
parti à la quête du buffle, il rencontre différents personnages qui lui
dispensent des enseignements, qui répondent à certaines interrogations, qui
lui proposent certaines lectures qui lui font cerner la direction à prendre
pour parvenir à sa quête. Muni de ces bagages intermédiaires, il croit
comprendre quelque chose sans en avoir une réelle connaissance, c'est pour cela
qu'on ne trouve ici que des empreintes ou des traces du buffle et non de l'animal lui-même. Le boeuf a laissé après son passage empreintes et traces
montrant qu'il est devant dans le chemin, précédant celui qui le recherche.
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Troisième Tableau
le pèlerin de la Voie trouve son chemin grâce au
son, à la voix.
Cela me rappelle une anecdote: prise à la descente du massif du Marcadau dans
les Pyrénées par un brouillard à couper au couteau, notre cordée, ne voyant
pas son chemin à un mètre a pu repérer la bonne voie, évitant ainsi les précipices
vertigineux et les écueils, par le seul mugissement des vaches qui paissaient
aux abords de celui-ci. De la voix ou du cri, on remonte intuitivement à la
source, à savoir à l'homme qui parle, à l'animal qui le pousse. Il a entendu
un meuglement, il sait que le buffle est tout proche. La causalité du son et de
sa source font l'unité des choses, il en va de même pour le sel et la mer,
qu'on ne distingue pas séparément même si sa présence est bien réelle et
distincte. Dans la mer,
distinguez-vous le sel qui en fait de l'eau salée? De cette harmonie de la
nature, il doit apprendre qu'il en va de même pour lui lorsque son regard sera
devenu discernant et juste.
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Quatrième tableau
Capture du boeuf :Cette fois-ci, il voit le boeuf paissant
dans le pré à l'image de l'harmonie passagèrement trouvée, éphémère
qu'elle est à ce stade. Alors s'approchant furtivement de lui, il arrive à
lui passer le licol. Voulant l'entraîner à sa suite, il rencontre les
difficultés les plus grandes à lui faire prendre le chemin qu'il désire, bien
au contraire. Ces difficultés qu'il ne prévoyait pas, sont en fait les
pressions du monde extérieures sur son esprit indocile. Cet esprit sauvage, à
l'image du boeuf, ne veut pas quitter ses pâturages, le monde a sur l'esprit
encore des effets et des emprises irrésistibles. Comme le boeuf il ne veut pas
se laisser dompter et refuse catégoriquement de se laisser briser l'échine par
le licol. Ce qui fait que le bouvier doit faire usage de son fouet. Notre mental
est pareil au boeuf capturé, il reste orgueilleux de sa liberté, illusoirement
conçue dans sa captivité. Notre esprit reste prisonnier, malgré la liberté
qu'il croit avoir, du conditionnement latent, des voiles de l'ignorance qui le
maintiennent captif de sa sauvagerie. C'est l'esprit faussement discipliné dans
ses pulsions instinctives.
Cinquième tableau
Le dressage du Bœuf :Notre
esprit est envahit de pensées instinctives, lorsqu’une pensée surgit, une
autre la suit déjà, voire même la précède dans l’affolement de notre
mental. Et c’est une spirale sans fin dans laquelle nous sommes pris
quotidiennement engendrant la confusion et les erreurs. Ces erreurs, ces
illusions proviennent de notre ego subjectivant et non des choses qui sont par
nature objectives. Alors, l’illumination nous permettra de voir les choses
objectivement et non plus dans cette optique dualisante créée par notre ego
qui se dupe, se leurre lui-même. Mais pour cela, comme le bouvier, nous devons
tenir ferme les rênes contrôlant sa marche. C’est l’effort de l’Octuple
Sentier, c’est virya, la paramita de l’énergie que nous devons déployer ;
nous devons constamment veiller à ce qu’il ne fasse pas de faux pas, qu’il
n’échappe pas à notre contrôle, qu’il ne s’égare pas dans les vues
erronées. C’est par le fouet et les rênes que le bœuf se dresse, c’est
par les antidotes et la maîtrise de nos agrégats mentaux, sensations,
perceptions, volitions et conscience que nous parviendrons à domestiquer notre
esprit. Mais, là, après l’énergie et l’effort du début, il faudra la
patience et la persévérance pour en venir à bout.
******
Sixième tableau
Retour sur le dos du boeuf
:
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Septième tableau
Le boeuf transcendé ou le boeuf oublié et le
bouvier seul
:
Huitième tableau
Le boeuf et le bouvier
transcendés = Vacuité.
Ce cercle vide représente, après la félicité
suprême du tableau précédent, la disparition totale du moi, du boeuf, de la
corde, du fouet, des traces, de la quête. Les désirs mondains se sont évanouis
et, en même temps, la pensée de l'Illumination a fait place au vide.
Toute confusion est écartée et seule règne la sérénité
cosmique. Le petit bouvier a
compris, il ne s'attarde pas à errer ou se trouve le Bouddha et, là où le
Bouddha n'est pas, il passe sans se retourner. Là, où le dualisme n'existe
sous aucune forme, même un saint homme ne saurait y déceler le moindre écart.
Le boeuf est tout blanc, à l'égal de son maître, lui aussi transparent en
l'absence de tous soucis. La lune blanche projette les ombres des nuages blancs
et chacun suit sa course. Si on vous demande la signification de tout cela,
pensez aux lys des champs et à leur fraîcheur délicieuse qui s'unissent dans
leur contemplation. Le vide de Soi et le vide en Soi, telle est la réalisation
suprême où la dualité n'existe plus, où tout se fond dans l'Unicité
primordiale. ****** Neuvième tableau Atteindre la source: Retourner
à l'origine, à sa première naissance, l'homme pur et non-altéré, n'a jamais
été affecté par les souillures mondaines. Il examine, sereinement
la formation et la disparition des choses douées de formes, tout en
demeurant dans l'équanimité parfaite, celle où le moi n'existant plus, n'a
plus besoin de s'affirmer, ceci en ne s'identifiant pas avec les mouvances
illusoires et fantasmagoriques de son environnement. Il n'a plus à faire
quelconque travail sur lui-même, ce ne serait qu'artifices trompeurs et perte
de temps. Celui qui ne s'attache plus à la "forme" n'a plus besoin,
lui aussi ,d'être "reformé". Dés le début, la vérité était
claire, l'eau est bleue et les montagnes sont vertes et le bouvier se perd dans
la contemplation de l'Unicité du tout qui l'entoure dans son impermanence. Le
bouvier a compris qu'il avait fait des pieds et des mains pour
s'approprier le boeuf sur le dos duquel il était déjà assis depuis le
début. C'est comme chercher toujours à l'extérieur, les manifestations de la
richesse intérieure que l'on côtoie quotidiennement, richesse que l'on oublie
rapidement à force d'habitude, de manque de réflexion, de calme et de sérénité.
Alors, face à l'eau limpide, aux montagnes vaporeuses. on retourne à sa propre
source, à sa véritable nature de Bouddha, qui n'a plus besoin d'être cherchée,
mais retrouvée en son origine. ****** Dixième tableau
Pleinement réalisé dans son
Eveil, il s'en retourne au village parmi ceux avec qui il peut partager son expérience.
Il n'y pas de plus grand bonheur, de plus grand don, disait le Bouddha, que
celui du Dharma. Redescendant de son ermitage isolé où les plus grands sages
ne le connaissent plus, il va à l'encontre ceux-ci, se mêler aux gens du
monde. Nul ne peut deviner la moindre parcelle de sa vie intérieure: vêtu de
haillons, couvert de poussière, portant une gourde, symbole du vide ou Shunyata,
appuyé sur son bâton, il ne possède rien de superflu, car il sait que le désir
de posséder est le fléau de la vie humaine. Bienheureux à tout jamais, unique
témoin de son bonheur, il n'use d'aucun artifice pour prolonger son existence,
son jardin merveilleux est invisible. Il s'assied avec le patron dans son
auberge en compagnie des bouchers et des prostituées et vide gaillardement son canon
en leur compagnie.
Entre eux et lui nulle différence, il connaît la nature profonde de Bouddha
dont chacun est porteur. Il se contente d'être pleinement et sereinement dans
la Voie Parfaite qui ne connaît nulle préférence.
(les
illustrations sont tirées du « Zen en chair et en os »)
******
commentaires avec
ajouts du vén. S